BIG BANG n° 32 Octobre 1999 - par Christian Aupetit


"Le premier album d'ADN est sorti !". "Non, tu déconnes ?!?... Mais alors les rééditions d'Ezra Winston vont bientôt sortir aussi !!! ...". Trève de plaisanteries, et même s'il y a bien deux ans qu'on nous annonçait sa sortie, le premier album de cette "jeune" formation francilienne a connu tant de déboires que la décence nous empêche de vous les révéler toutes... L'important, après tout, est le résultat final. Après une multitude de problèmes techniques, de valses de musiciens, le CD est entre nos mains. Première impression ... pour une autoproduction, l'objet est très bien présenté : livret avec les paroles, photos en surimpression, logo "très pro" dû au batteur du groupe, Didier Pegues. Puisqu'on en est à parler des musiciens, entrons dans le détail ;ceux qui fréquentent le "milieu" progressif parisien depuis un certain nombre d'années reconnaitront dans le line-up du groupe trois anciens rédacteurs (entre autre) du défunt fanzine Varia : le sus-nommé Didier Pegues, Pascal Mocaer (basse) et Philippe Benabes (clavier). A leurs côtés, le chanteur, multi-instrumentiste (clavier, basse et flûte) et principal compositeur, Frédérik Schneider (S. Fred pour les intimes), le guitariste Eric Savarino, et une multitude d'invités, parmi lesquels on retiendra surtout la violoniste Elise Bruckert. Musicalement, l'album se décline en six compositions (de 3'03 à 23'30), un instrumental, deux titres chantés en français et trois en anglais. Dès la première écoute, on sait très clairement qu'on a affaire à des amateurs déclarés de rock progressif. Un mélange de formules bien connues des grands groupes anglais des années 70 (Genesis en tête), avec une approche néo-prog péchue et un chant accessible qui cherche à entrer dans les mémoires. Ce n'est qu'après plusieurs écoutes attentives que la véritable personnalité du groupe va s'affirmer. Premiers bons points : le soin apporté à la production (compte-tenu des moyens à disposition, celle-ci est tout à fait remarquable), les arrangements fouillés (beaucoup de "petites" choses ne se remarquent pas tout de suite, mais participent à l'enrichissement du son), les interventions des invités (en premier lieu la violoniste, très présente, et les trois autres guitaristes dont Vincent Le Flanchec (Sens) qui apportent chacun une texture sonore propre et varient de fait les interventions guitaristiques), et enfin et surtout, les nombreuses excellentes idées musicales. S. Fred est apparemment un compositeur prolifique, aux influences très larges, et ses acolytes ne sont pas en reste. Il y a un peu de Saga, de King Crimson, de Camel, de Marillion, de Genesis, et bien d'autres, dans la musique d'ADN. Tout ce melting pot musical est brassé au sein de compositions souvent longues, propices donc à nous faire traverser de nombreux changements d'atmosphères. Le premier morceau de l'album (et aussi le plus ancien) est tout à fait représentatif du style ADN (osons déjà parler de "style ADN" !). De longues parties instrumentales, de nombreuses cassures, des solos lyriques, des claviers enveloppants (le Mellotron) ou solistes (le piano), des phrases plus rock, le tout parsemé du chant "Obispien" de S. Fred. Pour ceux qui n'auraient pas compris, je compare sa voix à celle de notre Pascal Obispo national, notamment dans la recherche des aigus... Cela nous amène sans transition aux côtés perfectibles du groupe (plutôt que de parler de défauts). S. Fred a une voix tout à fait acceptable (même en anglais, ce qui est plutôt rare chez les chanteurs français !), mais qui manque encore singulièrement de hargne, de puissance et d'une réelle originalité. Cela a tendance à faire retomber la sauce musicale, qui prend alors des atours plus commerciaux, plus "chansons". Etant donné que S. Fred poursuit en parrallèle une carrière solo plus orientée vers la variété, ceci explique cela. En tout cas, le compositeur prend encore largement le pas sur le chanteur; même si je le répète, celui-ci n'est pas à proprement parler un défaut pour ADN. Autre point perfectible : l'agencement structurel des morceaux. Certaines cassures, certains changements d'atmosphère paraissent bien superficiels (sur "Elle tourne la page" notamment), on n'est pas loin des bons vieux "clichés prog", mais dans le mauvais sens du terme... Au contraire, quant à faire du rock progressif, autant ne pas se brider, et se laisser aller à faire durer les bons thèmes mélodiques, les longs solos pleins de lyrisme comme on les aime... Pour une première oeuvre, on peut dire qu'ADN réussit plutôt bien son entrée dans le panorama progressif. Il y a encore du travail pour rivaliser avec les meilleurs (quoi qu'en France ils ne sont pas si loin...), mais le plaisir est déjà bien présent, et nul doute qu'un second album muri des défauts (tant pis, je l'ai dit) et des qualités de ce premier essai, saura nous conforter dans nos saines opinions à l'égard du quintet parisien. Et quant en plus, ils font de l'humour (écoutez les dernières paroles du "Guide" !), tous les espoirs sont permis...